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Louis Vuitton et le capitalisme racial: de l'inclusion à l'instrumentalisation des corps noirs

Publié le 4 juillet 2023, modifié le 16 novembre 2024

maninblack by Kim Dokhac cc.jpg

Réfléchir au corps noir dans l'espace parisien, c'est d'abord se prêter à un exercice vertigineux, dans un pays ou les constructions raciales n'existent pas. C'est également, malgré tout, tenter de réfléchir aux structures qui entourent ces corps et aux sélections opérées entre un corps noir célébré et un corps noir qui est exclu.

 

La présence de Pharrell Williams, un musicien millionnaire, en tant que directeur artistique de la marque Louis Vuitton, a attiré mon attention. Cette nomination, donnant à la marque une image vertueuse, consiste à mettre en avant des hommes d'affaires noirs américains fortunés comme directeurs artistiques de la ligne masculine. Ce sujet susciterai un intérêt d'étude en raison de sa complexité, tant au niveau du message véhiculé que de sa perception. Avant cela, en mars 2018, Virgil Abloh (1980-2021) était nominé au poste de directeur artistique de cette ligne pour hommes, offrant à la marque française une présence rafraîchie dans l'espace parisien. Et ce phénomène, nouveau, de la présence d’un homme noir aux plus hautes fonctions, fut alors considéré comme “une victoire politique” par le journaliste Loïc Prigent.

 

Le soir du 20 juin 2023, le corps de Pharrell Williams marchant sur le Pont Neuf, en uniforme militaire et acclamé par une foule de célébrités, m'a incité à questionner la stratégie d'une marque consistant à sélectionner un corps noir par rapport à un autre. Également en constatant l'engouement de mes pairs aux récentes nominations de ces directeurs artistiques noirs. Comment ce corps participe-t-il au mythe du directeur artistique ou créateur en France et dans le monde? En est-il de même lorsqu'il s'agit d’applaudir et de célébrer un corps noir en provenance de France, des Antilles, d'Afrique ou des Etats-Unis? Pourtant loin de cette utopie, Paris ne se présente pas comme une capitale inclusive où les Noirs occupent des positions dans les sphères luxueuses. Être noir en France n'est pas un luxe, bien au contraire, les actes racistes et les violences policières en France connaissent une augmentation ces dernières années (1) et leurs voix sont le plus souvent silencieuses et ignorées. Même si les Noirs sont tolérés dans ce domaine restreint de la scène parisienne du luxe, ils travaillent en faveur d’une hégémonie blanche et de la projection internationale du néolibéralisme. Ils participent au mythe du directeur artistique, un mythe dans le sens Barthien d'une participation à une idéologie (2). De ce fait, une propagande marchande du luxe donne-t-elle l’illusion d’une mixité raciale pour cacher une ségrégation de classe? 

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Étudier Paris en tant qu'ancienne capitale coloniale, dans laquelle nous avons hérité certaines formes et hiérarchies, offre de nombreux angles d'approche pour comprendre les dynamiques de pouvoir à l'œuvre. (3) De même, étudier l'influence des marques de mode sur les corps noirs et le pouvoir qu'elles exercent dans la ville suscite mon intérêt et m'a engagé dans une étude sur l'intersection entre le corps noir, Paris et le vêtement indigène depuis plusieurs années. La question de la place des Noirs dans la Mode  occidentale devient fascinante lorsque l'on se penche sur la provenance des corps. (4) Comment sont-ils arrivés là et pourquoi? Ont-t-ils été invités? Appelés? Contraints? Sont-ils des corps voyageurs? Riches ou pauvres? Sont-ils rémunérés pour être présents? Et plus important encore, comment évolue la narration entourant ce corps noir au sein d'une industrie de la mode en perpétuelle transformation?

 

Sur le site de la marque Vuitton, une vidéo est accessible très rapidement après le défilé, mettant en scène deux hommes noirs américains, respectivement Jerrod Carmichael et Henry Taylor, discutant de questions existentielles sur un banc des quais de Seine. Ils semblent avoir une conversation philosophique profonde sur la volonté d'agir: « Ressentez-vous cela aussi ? Pensez-vous être capable de dire, peu importe l'objectif ou ce que c'est, si vous pouvez admettre à quel point vous le désirez ? ». Tada! Le défilé commence soudainement aux bruits d’une marche militaire. La maison mère LVMH ayant privatisé un petit bout de Paris, ce défilé s'est déroulé sur le Pont-Neuf. Donnant sur la perspective urbaine des immeubles des quais du Louvre et de la Mégisserie, tous détenus par le groupe LVMH, une foule s’amasse sur le pont. Dominé par les codes et symboles de marque, le damier noir et blanc et soutenus par un orchestre classique suivi d’une chorale Gospel en toile de fond, des modèles nonchalants défilent dans une atmosphère entre chiens et loups. 

 

Lors de ce défilé sur le Pont-Neuf, une foule d'artistes américains se rassemblait pour célébrer le succès d'un des leurs : Rihanna, Beyoncé, Jay Z, tous des artistes populaires dont les liens et collaborations avec l'industrie du luxe parisien sont essentiels. Pharrell Williams et Virgil Abloh, deux figures majeures de l’entrepreneuriat noir américain, incarnent une culture où l’argent joue un rôle central dans la résolution de certains clivages sociaux, notamment raciaux. Cependant, ce paradigme, qui repose en partie sur l'ascension économique comme moyen de dépassement des inégalités, ne s’applique pas de manière uniforme en France. Ici, le contexte socioculturel diffère, les questions de race et de classe s’articulant autrement dans un système influencé par des dynamiques historiques et sociales spécifiques.  Ces deux univers, américain et français, s’influencent mutuellement tout en poursuivant des objectifs distincts. Du côté des marques de luxe, il y a une quête de croissance économique, d'apparaitre vertueux et du côté des célébrités noires américaines anglophones, un besoin de reconnaissance et de légitimité dans un cadre où le statut est souvent défini par des normes dominantes, parfois imprégnées d’héritages coloniaux et de suprématie culturelle. Le défilé de Mode parisien est un moment dans lequel l’élite économique française instrumentalise la négritude de l'élite noire américaine et inversement, l’élite noire américaine instrumentalise la blanchité de l’élite économique française. Cet échange pourrait paraître anodin et équitable, si l'objectif marchand ne consistait pas à perpétuer et à fabriquer ces objets de luxe symboles de statut, creusant ainsi un fossé entre ceux qui peuvent se les procurer, tout en maintenant le cycle d'une élite internationale exploitant une classe ouvrière multiraciale. Ce cycle engendre une ségrégation géographique au sein de Paris. Les Français des classes moyennes et populaires, qu'ils soient racisés ou non, ne peuvent s'offrir ces objets de luxe inaccessibles, pour lesquels le prix d'un sac Louis Vuitton peut parfois représenter un mois de salaire. Seuls les produits d'entrée de gamme, tels que les porte-monnaie et sacs en toile imprimée, leur permettent d'afficher un certain statut et de se sentir un peu moins démunis. (5)

 

Si certains suggèrent que le capitalisme américain a été influencé par les luttes afro-américaines et a contribué à l'émancipation de certains droits des Afro-Américains aux États-Unis en offrant des opportunités culturelles et économiques (Hahn, 2016), en embrassant, par exemple les relations de propriété du capitalisme afin d'échapper aux relations sociales par l’acquisition de terres pendant l’ère de Jim Crow (Monteith Petty, 2016), son impact en France est tout autre. Au contraire, le capitalisme en France a contraint les personnes racisées au silence et à l'assimilation. Par exemple, l’accès à la propriété reste moindre pour des personnes immigrées d’Afrique du nord, anciens territoires colonisés: 25% contre 55% des français natifs selon une étude faite entre 1975 et 1999 (Gobillon et Solignac, 2020). Aussi, dans les territoires de la Martinique et de la Guadeloupe ou la plupart de terres ont appartenu aux descendants de colons, qui ont été compensés en 1848 pour libérer leurs esclaves noirs (Gurrey et Hopquin, 2009). Si le racisme existait déjà en France, le ségrégationnisme américain y a été importé  pendant la Première Guerre mondiale, lorsque les soldats américains ont refusé de combattre aux côtés des soldats des troupes africaines et caribéennes, entraînant même des actes de violence à Saint-Nazaire en 1919 (Chathuant, 2009). Plus tard,  il y a eu le blanchiment des troupes coloniales sur la ligne de front et à la libération. Après la seconde guerre mondiale, entre 1945 et 1955, au sein de la métropole, les gouvernements n'ont pas accordé la priorité aux politiques de logement et d'aide à l’accès à la propriété, laissant ainsi les immigrants, souvent originaires des colonies, être hébergés dans des foyers, des logements meublés insalubres ou des bidonvilles qui résulte de nos jours à une ségrégation socio-spatiale (Lévy-Vroelant, 2006). Plus tard les premières cités en banlieues dites de “transit” voient le jour dans les années 1960, censées accueillir de nouveaux arrivants pour quelques années, qui y finiront bloqués (Abdallah, 2006). En France, les élites noires maintiennent une discrétion et ne sont pas sollicitées pour former des lobbys qui prendraient en compte leur vécu et leur position raciale et sociale dans la société française. Elles respectent un “consensus blanc”, y compris sous la forme de tolérance raciale. Ainsi, même les couches subalternes et les plus méprisées y trouvent leur compte (relatif), à condition qu’elles sachent rester à leur place (Bouteldja, 2023) (6). En revanche, aux États-Unis, les élites noires se sont regroupées pour former une force collective qui exerce une influence culturelle et économique. Cela se manifeste par le rayonnement des cultures noires américaines, l'institutionnalisation d’une histoire collective dans des musées, la fierté des entrepreneurs noirs et la préservation, bien que déclinante, d'une partie des terres agricoles depuis la fin de l'ère esclavagiste.

 

Cependant, les classifications continuent d'affecter les individus noirs en France, et cela demeure évident jusque dans le secteur du luxe: lorsque que Rihanna, milliardaire et chanteuse internationale, participe à la campagne de Louis Vuitton, l’artiste franco-malienne Aya Nakamura se retrouve dans la campagne de Lancôme, une marque internationale beaucoup plus discrète du groupe L’Oréal. Quand les chanteurs millionnaires Willow Smith, Jaden Smith et A$AP Rocky deviennent les égéries de campagnes publicitaires des maisons Chanel, Louis Vuitton et Dior en 2016, nuls sont les rappeurs francophones à obtenir des contrats publicitaires avec des marques de luxe. Une hiérarchie des corps noirs s'établit: il y a certains corps noirs qui ont plus de valeur, qui sont plus vendeurs dans ces utopies parisiennes. Mais ce contexte n'est pas nouveau. Déjà, au début du XXe siècle, Paris a été un refuge pour certains Noirs américains, offrant un espace de liberté où ils pouvaient s'épanouir. Leur donnant parfois l'illusion d'un paradis. 

 

En 1925, une célébre femme noire américaine à été l’emblème des folles nuits parisiennes et de la 'Revue nègre'. Joséphine Baker avait trouvé en France un refuge contre le racisme systémique et la ségrégation raciale aux Etats-unis: “J’ai deux amours, mon pays et Paris” chantait-elle au Casino de Paris en 1930. Malgré la tournée catastrophique de Baker en 1948 dans laquelle elle est confrontée de nouveau à la ségrégation raciale américaine, elle sera invitée en 1951 par la National Association for the Advancement of Colored People (Association Nationale pour la promotion des gens de couleur) et sera celebrée comme une star internationale sur sa terre natale. Cet exemple illustre déjà cet imaginaire d'une Amérique raciste contre une France dénuée de tout racisme. Baker y nourrit une vision idéalisée, créant ainsi un mouvement de va-et-vient entre les deux réalités et la perception ambiguë de son propre corps. Il est également fascinant d'observer comment son corps a voyagé spatialement et symboliquement pour trouver sa position finale en France, et aujourd'hui, au Panthéon. Alors que de nombreuses critiques associent la renommée de Baker à une représentation corporelle empreinte de racisme envers les colonies françaises, il faut quand même se rappeler de la banana dance des années 1920 ou de sa présence lors de l'inauguration de l'exposition coloniale de 1931,  il est crucial de souligner son engagement pour la quête d'une équité sociale et raciale symbolique en France, ainsi que son rôle actif dans la résistance, se distinguant ainsi des célébrités noires américaines contemporaines qui ne s'engagent guère localement dans des discussions à caractère social et politique. A t-on entendu Virgil Abloh ou Pharell Williams s'exprimer sur la montée des fascismes en Europe? En France, le corps noir américain est à la fois hautement visible, apprécié et souvent silencieux, l’environnement français lui offre un certain répit face aux pressions intenses vécues aux États-Unis. Peut-être trouve-t-il ici une forme d’échappatoire ou de relâchement. Pourquoi encore blamer celui qui subit?

 

Joséphine Baker, icône internationale et symbole d'émancipation, fascinait ma grand-mère, une paysanne blanche dont la passion pour cette artiste reflétait une admiration sincère pour son audace et son talent. Chaque fois que ses chansons résonnaient à travers son écran de télévision, elle se lançait maladroitement dans des pas de valse, occupant toute la place dans sa cuisine. Après avoir travaillé dans les champs de tabac, les champs de pommes de terre et élevé des animaux à la ferme, elle n'a jamais eu l'occasion de voyager ni de voir Paris, représentant ainsi une majorité de Français ruraux de sa génération traumatisés par la seconde guerre mondiale. Elle était impressionnée par le courage de Baker, appréciait de chanter ses chansons dans sa langue française et surtout elle aimait raconter que Joséphine Baker habitait à une distance de seulement 80 km de chez elle. Pour elle, Baker était une femme ancrée dans sa communauté, contribuant à l'évolution de la société dans laquelle elle vivait. Elle y était présente, y chantait et y échangeait avec les habitants.

 

Aujourd'hui, les corps de Williams, Jay Z, Rihanna, Beyoncé et bien d'autres incarnent des corps en mouvement constant, quittant une société marquée par les inégalités afin de s'immerger dans une utopie idéalisée parisienne. Ils se nourrissent de ce que Paris représente en termes de statut social, sans pour autant y apporter de contribution notable, humaine, politique et militante. Dans son livre Black Looks, Race and Representation, l'américaine bell hooks écrivait: "Tant que l'on enseignera aux Noirs que le seul moyen d'atteindre un certain degré d'autosuffisance économique ou d'être matériellement privilégiés est de rejeter la négritude, notre histoire et notre culture, il y aura toujours une crise de l'identité noire" (Hooks, 1992, p.18). J'ajouterais que cette crise de l'identité noire persistera tant que les individus noirs continueront d'être captivés par les symboles de suprématie blanche incarnés par les marques de luxe françaises. Ces icônes noires américaines incroyablement riches font désormais partie d'une élite mondiale, éloignées des préoccupations liées au racisme et aux disparités sociales européennes. Elles sont certes actives aux états-unis, mais restent absentes lorsqu'il s'agit de s'exprimer sur les sujets sociaux français et européens. Elles "pick and choose". Ces femmes et hommes d'affaires anglophones et noires contribuent à cautionner un système économique français marqué par les inégalités, tout en étant utilisés par la culture dominante pour projeter une vision illusoire d'égalité, renforçant ainsi les barrières économiques persistantes. Ces stars, exposent la manière dont la commodification, vide de sens, prive les signes de leur intégrité et de leur signification politique, niant ainsi la possibilité de servir de catalyseur  pour une réelle action politique (Hooks, 1992, p.33). En France, l'argent généré par ces campagnes pour promouvoir une fausse diversité, recettes de l'étalage de vertu des maisons de luxe,  servent à enrichir le népotisme des familles au pouvoir, creusant ainsi davantage le fossé social. 

 

Récemment, j'étais surpris de voir la naiveté d'une utopie parisienne Mrs Harris goes to Paris (2022), film qui raconte l'histoire du rêve d'une jeune femme de ménage anglaise des années 1950, Madame Harris, qui désire ardemment acquérir une robe de haute couture de la maison Christian Dior. Après la Seconde Guerre mondiale et en utilisant la pension de son mari décédé au combat, Madame Harris traverse la Manche pour concrétiser son rêve. Ce film, accessible sur la plateforme de streaming Netflix, adapté du roman de Paul Gallico (1958), se présente comme une fable empreinte de bienveillance, utilisant l'industrie du luxe comme moyen d'évasion face à la morosité de la condition sociale. En revêtant cette robe, Madame Harris se révèle une autre existence, et lorsque sa robe est déchirée, un élément pathos du film, elle est généreusement remplacée par des dizaines de petites mains qui ont consacré des centaines d'heures à la confection de ce rêve collectif de luxe. Et lorsque Madame Harris devient la nouvelle cible du business de Christian Dior, qui crée des produits moins chers et plus accessibles, elle inspire l'illusion d'une progression sociale. 

 

De l'illusion d'une avancée sociale, émerge en 2018, avec le défilé de Virgil Abloh pour Louis Vuitton dans les jardins du Palais Royal, une tendance qui métamorphose la ville en un environnement favorable à la commercialisation d'une image afro-américaine. Cette image est exploitée à des fins commerciales, créant ainsi une façade illusoire de progrès antiraciste. Cette illusion ne remet pas en question la présence d'une élite noire américaine et sa relation avec le capitalisme racial (7) et les modes de ségrégations économiques et sociales aux Etat-Unis, excluant les corps noirs et pauvres. À New-York, Londres ou Paris, un individu noir et multimillionnaire est accueilli et accepté au cœur même de la cité, tandis qu'une personne noire défavorisée est stigmatisée, rejetée, et parfois même victime de violences. L'intersection de la race et de la classe mettent en évidence ces stigmatisations (8). Est-il nécessaire de cautionner ces inégalités en louant l’espace urbain parisien pour des défilés? Quelles seront les conséquences de ces provocations des marques de luxe dans l’espace public et de la violence qu’elles engendrent? Est-il envisageable que les priorités des marques l'emportent sur celles des citoyens ?

 

Personne n'est en sécurité lorsqu'il s'agit de dénoncer la machine capitaliste, la répression ne fait aucune distinction de couleur. A la défense du statu-quo capitaliste, une personne blanche démunie et vulnérable est également en danger. En témoigne le jeune Valentin, jeune homme blanc de 19 ans, mutilé par un policier à moto dans une rue du XIIe arrondissement de Paris, se faisant broyer une jambe lors d’une manifestation contre la réforme de prolongement de l'âge de départ à la retraite. À l'arrivée des manifestants désireux de réclamer leur place dans l'espace urbain, les devantures des boutiques de luxe dans Paris se retrouvent barricadées derrière des grilles métalliques. L’hégémonie des grands groupes de luxe se maintient par les armes, les tanks et les fictions (Kelley, 2021). L’ordre est nécessaire afin de faire de Paris une ville musée et la ville ultime du luxe. (9) 

 

Bien que la mode puisse parfois jouer un rôle positif en soutenant des mouvements sociaux progressistes, en prônant l'inclusion et en favorisant le progrès social, en 2023, elle reste loin d’être cette utopie. Elle demeure souvent silencieuse sur des questions cruciales. En instrumentalisant les corps noirs, les marques de luxe sont devenues des outils puissants qui perpétuent le capitalisme racial et renforcent les inégalités sociales, tout en exploitant des idéologies progressistes sans remettre en cause les structures de pouvoir sous-jacentes.

La ségrégation économique est omniprésente, et la mode en devient un outil de manipulation des idéologies progressistes. L'anti-racisme, l’écologie, ainsi que les luttes féministes et LGBTQI+ font partis des instruments, qui font vendre. Ces marques de luxe attribuent des rôles privilégiés à ces corps noirs américains, en les mettant aux commandes des machines, leur attribuant une forme de négritude atténuée, moins évidente, qui peut être achetée. Ces représentations, loin d'être pleinement émancipatrices, véhiculent des images qui minimisent l'identité noire, la transformant pour répondre aux attentes du système économique et idéologique dominant.

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notes:

(1) Au moment où j'écris cet article, la banlieue parisienne fait face au deuil suite au décès tragique de Nahel, un adolescent de 17 ans tué lors d'un acte de violence policière à Nanterre.

(2) Dans Mythologies, page 189,  Barthes déconstruit une couverture de Paris-Match dans laquelle on voit un soldat noir en uniforme français fixant un drapeau français et en analyse le système mythique et son rapport à la colonisation.

(3) Levine, Caroline. (2015). Forms, Whole, Rhythms, Hierarchy, Network. Princeton: Princeton Press

(4) J’utilise ici une lettre capitale en utilisant Mode comme référent d’une mode parisienne et internationale, faisant lien au texte de Roland Barthes, Système de la mode (1967)

(5) Louis Chauvel dans  Les classes moyennes à la dérive (2006) écrit sur  l’utopie de l’appartenance à un groupe et de la distinction entre une classe moyenne inférieure, intermédiaire et supérieure. L’achat du produit de luxe est-il le reflet d’un effacement de cette classe moyenne qui se fondrait dans les classes populaires?

(6) Bouteldja, H. (2023) Beaufs et Barbares. Paris: La Fabrique p. 154

(7) Le "capitalisme racial" tel que décrit par Cédric Robinson en 1983 dans son ouvrage Black Marxism. The Making of the Black Radical Tradition, apporte une vision sur les hiérarchies qui se sont établies à l’avènement d’une suprématie blanche. Il y étudie l’émergence d’un capitalisme basé sur des rapports d’exploitation raciales. 

(8) Bouteldja écrit dans Beaufs et Barbares: “On pourra affirmer même sans ambiguïté que la race est une modalité de la classe (et du genre) comme on pourra dire que la classe est une modalité de la race (et du genre)” p. 27. (2023) reprenant les écrits de Stuart Hall en 1978 “Race is the modality in which class is lived”

(9) De la Roche Saint-André, E., Donada, E. (2023, Mars 23) «La moto me roule sur la jambe» : Valentin, 19 ans, raconte son agression par des policiers en marge des manifestations à Paris” dans Libération. https://www.liberation.fr/checknews/la-moto-me-roule-sur-la-jambe-valentin-19-ans-raconte-son-agression-par-des-policiers-en-marge-des-manifestations-a-paris-20230323_BIFNZ5PHOJDFHPM3YQMO47CNL4/

 

 

Références et bibliographie:

 

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Image: "man in black !" by kimdokhac is licensed under CC BY 2.0.

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